Lutte contre les polluants éternels (PFAS), le groupe SEB dans le viseur
Mercredi 3 avril 2024, le député écologiste Nicolas Thierry défend une proposition de loi contre les PFAS pendant que le directeur général du groupe SEB, Stanislas de Gramont, manifeste avec ses employés et syndicats devant l'assemblée nationale. L'enjeu : la disparition de la marque TEFAL et de ses 3000 emplois si la proposition de loi est adoptée.

Les polluants éternels : qu'est-ce que c'est ?
Ce type d’article me permet de concilier deux sujets qui me passionnent : la toxicologie (qui est mon cursus universitaire) et le made in France (qui est le thème de Marques de France). Étant de formation scientifique, le choix des mots utilisés m’importe énormément et parler de polluants éternels est plutôt une formulation utilisée par les associations militantes. Même si l’Anses, l’Agence de sécurité sanitaire française, reprend parfois ces termes, factuellement on parle de polluants persistants.
Car un polluant, quel qu’il soit, une fois dans l’environnement et/ou dans le corps humain va subir une série de transformation. Il n’est donc pas éternel à proprement parlé. Par ailleurs, il est également possible de mettre en oeuvre des process de dépollution, notamment des sols, par traitement à haute température pour minéraliser les polluants en substances inertes.
Le problème avec les polluants persistants est leur durée de vie, ainsi que la toxicité et la durée de vie des sous-produits de transformation. Par exemple, le DDT, insecticide massivement utilisé après la seconde guerre mondiale, a une durée de vie de 32 ans. Or sa dégradation dans l’environnement donne naissance à deux sous-produits, le DDE et DDD, qui partagent cette même propriété de persistance avec des effets toxicologiques similaires. Concernant les PFAS, l’INERIS indique que la durée de vie des PFOS et PFOA dans l’environnement est de plus de 80 ans (demi-vie de 41 ans) et l’INRS estime que la durée de vie dans le corps humain est de 8 ans (demi-vie de 3,8 ans).
D’ailleurs, les PFAS ne sont ni les premiers ni les seuls polluants persistants. En 2001, la convention de Stockholm a permis de bannir l’utilisation de 12 polluants organiques persistants (les POPs), baptisés les “Dirty Dozen”, dans les 152 pays signataires sur 186 présents. La liste comprend :
- 9 pesticides : DDT, aldrine, chlordane, dieldrine, endrine, heptachlore, hexachlorobenzène, mirex, toxaphène;
- 1 composé chimique industriel: PCBs (polychlorinated biphenyls)
- 2 sous-produits : dioxines et furanes.
Depuis, la liste de la convention de Stockholm a été amendée avec de nouveaux POPs – Polluants Organiques Persistants – dont le chlordécone (pesticide utilisé dans les plantations de bananes aux Antilles françaises entre autres) et la famille des perfluorés (les PFAS) dont :
- PFOS (sulfonate de perfluorooctane ou acide perfluorooctane sulfonique), ainsi que ses sels et composés apparentés
- PFOA (acide perfluorooctanoïque), ainsi que ses sels et composés apparentés
- PFHxS (sulfonate de perfluorohexane ou acide perfluorohexane sulfonique), ainsi que ses sels et composés apparentés
Tous ces polluants inquiètent car ils sont massivement utilisés et leur persistance les rend omniprésents dans l’environnement. Inévitablement, ils contaminent les sols, l’eau et l’air, se retrouvant in fine dans nos organismes. Ne pouvant pas les éliminer rapidement et, étant pour la quasi totalité lipophiles, ces polluants persistants tendent à s’accumuler dans les organismes. On parle alors de bioaccumulation et lorsque cela remonte la chaine alimentaire, on parle de bioamplification.
Les effets liés à une exposition chronique et diffuse aux PFAS restent encore mal connus, même si de nombreux effets sont suspectés (cancers, atteinte rénale et/ou hépatique, baisse de la fertilité…). En effet, les PFAS ne sont pas une seule substance chimique mais une famille comptant plus de 4000 substances différentes. Les plus connues et les plus étudiées sont le PFOA et PFOS. De plus, on ne peut pas comparer des populations qui ont été intoxiquées de manière directe et continue aux PFAS via les eaux de consommation ou les émissions dans l’air des usines produisant ces molécules (ex: Arkema et Daikin au Sud de Lyon, Dupont à Parkersburg) aux populations qui sont exposées indirectement via des produits contenant des PFAS (vêtement déperlant, canapé ignifugé, poêle anti-adhésive, etc.).

Les PFAS qu'est-ce qu'est ?
Les PFAS sont une famille de substances chimiques perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées qui comprennent quelques milliers de composés chimiques différents : PFOA, PFOS, PTFE… Découverts de manière fortuite par un chimiste dans les années 40, l’un des composés les plus connus, le PTFE (polytétrafluoroéthylène), sera commercialisé par l’entreprise DuPont sous le nom de Teflon. Les PFAS présentent de nombreuses propriétés (ignifuge, déperlant, anti-adhésive…) qui les ont rendus indispensables dans de nombreux produits de consommation, comme les revêtements et ameublement, certains textiles et poêles.
Concernant le PFOA et le PFOS, au niveau international par la convention Stockholm et au niveau européen via REACH : “la production, la mise sur le marché et leur utilisation soit en tant que telles, soit dans des préparations, soit sous forme de constituants d’articles sont interdites sauf dérogation (règlement 850/2004 concernant les polluants organiques persistants et modifiant la directive 79/117/CEE)”. La dérogation concerne l’utilisation du PFOA et ses sels pour la fabrication des deux principaux fluoropolymères: le polytétrafluoroéthylène (PTFE) et polyvinylidène fluorure (PVDF) (source : Anses).
Au niveau européen, les PFAS sont également surveillés et quantifiés dans les eaux destinées à la consommation humaine avec la directive européenne 2020/2184 du 16/12/2020. Dorénavant, ce sont 20 PFAS qui sont ciblés dans l’eau potable avec une limite de qualité fixée à 0,10 µg/L, correspondant à la somme des 20 molécules recherchées. Un autre paramètre, « PFAS Total », est également suivi avec une limite de qualité de 0,50 µg/L. Pour information, epuis 2019, les PFAS étaient déjà surveillés dans les cours d’eau.

Pourquoi le groupe SEB, via sa marque TEFAL, est visé par le sujet des PFAS ?
Le nom même de TEFAL repose sur son matériau innovant : le téflon.
Le téflon est la dénomination commerciale pour le composé chimique polytétrafluoroéthylène (PTFE), n°cas 9002-84-0. Le PTFE est fabriqué à partir de PFOA (acide perfluorooctanoïque) et fait partie de la famille des PFAS. Ce revêtement est utilisé pour toutes les poêles anti-adhésives de la marque.
Or le projet de loi du député écologiste Nicolas Thierry vise à interdire, à compter du 1er janvier 2025 : “la fabrication, l’importation, l’exportation et la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux de tout produit contenant des substances per- et polyfluoroalkylées et destiné à entrer en contact direct avec toutes les denrées alimentaires“. Autrement dit, ce projet de loi abolirait la dérogation européenne d’utiliser le PFOA pour fabriquer le PTFE (téflon). Cette proposition de loi menace donc directement l’activité de TEFAL. C’est pourquoi le directeur général de SEB, Stanislas de Gramont, accompagné des syndicats et de salariés ont manifesté le mercredi 3 avril devant l’Assemblée Nationale afin de protester contre cette proposition de loi.
Néanmoins, le projet de loi du député écologiste prévoit quand même des dérogations, notamment pour le matériel médical et le matériel de protection des professionnels de la sécurité.
Enfin, pour toutes celles et ceux qui possèdent des poêles anti-adhésives de la marque TEFAL ou autre, il est essentiel de rappeler que les risques d’exposition aux PFAS via l’utilisation de ces poêles ne sont pas clairement identifiés, tant les sources d’exposition aux PFAS sont nombreuses. Toutefois, par principe de précaution, il est recommandé de ne plus utiliser ses poêles anti-adhésives lorsqu’elles sont rayées car le revêtement n’est plus intact.
Les ustensiles de cuisine made in France
Découvrez les marques et produits qui fabriquent des outils pour la cuisine en FranceUn premier sursis pour le groupe SEB
Après délibération ce jeudi 4 avril 2024, la proposition de loi a été partiellement adoptée.
Le député écologiste, à l’initiative du texte, visait pour 2026 l’interdiction d’usage des PFAS dans 4 types de produits : les ustensiles de cuisine, les vêtements et textiles, les cosmétiques et le fartage des skis / snowboards. Sachant qu’au niveau européen, un même projet de loi visant à interdire ou à restreindre l’utilisation des PFAS est attendu pour 2027.
La majorité présidentielle déplore l’approche qui cible principalement les ustensiles de cuisine (et indirectement le groupe SEB) et non les produits ignifugés (anti-incendie) qui sont d’après Roland Lescure la principale source de pollution aux PFAS. Elle demande également un report de l’interdiction, pour les ustensiles de cuisine, à 2030, ce qu’a refusé le groupe Ecolo-NUPES.
Par ailleurs, la majorité présidentielle pointe également du doigt les alternatives. En effet, il n’est pas rare que l’alternative ne soit pas mieux, parfois pire que le produit initialement interdit. Surtout, il faut être capable de proposer des alternatives, par exemple dans le domaine médical ou dans les vêtements de sécurité pour le moment l’usage des PFAS est irremplaçable. Par contre, pour les ustensiles de cuisine, il est tout à fait possible de les remplacer par des poêles en inox (mais qui accrochent ;).
Un compromis (ou compromission) a été trouvé en adoptant le projet de loi, tout en supprimant l’alinéa concernant les ustensiles de cuisine.
En tout cas, même si au niveau français, le groupe SEB peut continuer de vendre ses poêles TEFAL, au niveau européen, il devra se conformer aux futures directives sur les PFAS.
Reste à connaître la stratégie du groupe SEB : n’a-t-il pas vu venir la crise des PFAS et une régulation de leur usage ? ou est-ce que le groupe a essayé d’innover en tentant de trouver un autre revêtement anti-adhésif sans réussir ?

Contenu rédigé par Élodie Lapierre
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Article très intéressant sur la capacité de nos chers élus à nuire à notre industrie
Il est vrai que l industrie et la réindustralisation du pays n’est pas un problème face à l idéologie
Dommage qu ils soient moins regardant dans la fabrication des produits chinois
Article très intéressant. La profusion de termes scientifiques peut rebuter mais le contenu est vraiment clair et abordable.
La question finale de la stratégie est importante.