L’échec des fruits et légumes moches, l’ascension du beau avec Grand Frais
En plein débat sur la souveraineté alimentaire, le respect de la loi Egalim et la juste rémunération des agriculteurs, on revient sur une initiative qui a disparu des rayons des supermarchés : la vente des fruits et légumes moches, déclassés et souvent gâchés.

La bonne idée de vendre les fruits et légumes moches
Il y a tout juste 10 ans, en 2014, Intermarché lançait une belle et grande campagne de communication sur les fruits et légumes moches en ces termes : “Trop petits, trop tordus, trop moches… De forme bizarroïde ou de taille inadaptée, certains fruits et légumes sont condamnés, dès la récolte, à être écartés des circuits de vente. Ils représentent pourtant 40 % de la production en France; des produits non calibrés qui portent, malgré eux, les stigmates du gaspillage… pour délit de sale gueule !”
Puis, Carrefour a répondu avec son mouvement “Tous AntiGaspi” et, en parallèle, le collectif Gueules Cassées® lançait son label “Quoi ma gueule ?” pour vendre ces fruits et légumes déclassés dans toutes les GMS, de Leclerc à Cora, en passant par Auchan et Monoprix.
Parce qu’ils étaient seulement moches, ils étaient vendus en moyenne 30% moins chers que les fruits et légumes calibrés. Leur qualité nutritionnelle ou gustative n’étaient aucunement remis en cause. Mais comme ils ne répondaient pas aux standards des grandes et moyennes surfaces, ils étaient laissés dans les champs.
Or déjà en 2013, les questions de pouvoir d’achat, des fins de mois difficiles et le droit à l’accès à une alimentation de qualité battaient le pavé. Pour remettre dans le contexte, en 2013 l’Europe est touchée de plein fouet par les répercussions de la crise américaine des subprimes démarrée en 2007-2008. Par ailleurs, le gouvernement de François Hollande fait face à un taux de chômage dépassant la barre symbolique des 10% : “Entre mai 2012 et avril 2013, le nombre de demandeurs d’emploi n’ayant pas du tout travaillé a progressé de quelque 340.000 pour atteindre 3.264.400. Le nombre de chômeurs de longue durée a, lui, augmenté de quelque 250.000 et frôle désormais les 2 millions. Le chômage des jeunes n’a cessé également de grimper tandis que les formations en alternance marquent le pas.” (source : Les Echos)
Ainsi, l’initiative de proposer aux consommateurs des produits 30% moins chers permettant de répondre aux recommandations nutritionnelles de consommer 5 fruits et légumes par jour n’aurait jamais dû faiblir. Au contraire, on aurait dû connaître une pénurie de fruits et légumes déclassés tant ils étaient priorisés par les consommateurs. D’autant plus qu’en 2015, on est en pleine effervescence écologique avec la COP21 qui se tient à Paris et la discussion de la première loi anti-gaspillage, finalement publiée le 11 février 2016 (loi n° 2016-138 relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire), dont l’objectif premier était de ne plus jeter de denrées alimentaires propres à la consommation.

L'échec des fruits et légumes déclassés versus le succès de l'enseigne Grand Frais
En 2014, les GMS avaient donc la bonne idée de vendre des fruits et légumes moches mais elle s’est finalement révélée être un échec. Les fruits et légumes moches n’ont pas rencontré leur public. Ils ont été retirés des rayons de tous les supermarchés. Le consommateur aime le beau, peut-être parce qu’inconsciemment on associe le beau au bon ou peut-être que l’idée d’acheter des fruits et légumes déclassés nous laissaient penser que nous étions nous-même déclassés.
En tout cas, ce qui est sûr, c’est que les “moches” sont retournés au champs et nos étales sont toujours aussi calibrées, pour le plus grand plaisir de Grand Frais. Etes-vous déjà rentré.e dans un de ces magasins ? Tout est beau, ordonné, un camaïeu de couleurs avec des brumisateurs pour garder un maximum de fraîcheur, des fruits et légumes les plus insolites et cosmopolites venus du monde entier. Dans cet endroit merveilleux où se côtoient les fruits et légumes, les fromages et la crèmerie, la boucherie et la poissonnerie, la marge opérationnelle de l’enseigne s’élève à 10% quand Carrefour annonce, de son côté au premier trimestre 2023, une marge opérationnelle de 2,2%. Grand Frais ne connait pas la crise, “l’enseigne affiche 15% de croissance par an depuis cinq ans“, avec une progression de +2,1 points de part de marchés pour l’année 2022 (source : Kantar / Dauvers).
La clés de son succès tient à “la mise a mise en scène, les magasins sont une véritable copie des marchés couverts d’antan (…) La théâtralisation est partout : nous avons mis des spots de lumière chaude sur les fruits pour faire ressortir leurs couleurs et des bleutés sur le poisson, qui renforcent la fraîcheur“. Parce que c’est grand, parce que c’est beau, Grand Frais donne l’impression d’en avoir pour son argent. 1€ dépensé chez Grand Frais paraît plus qualitatif qu’1€ dépensé chez Lidl. Et devinez qui s’est inspiré de ce modèle pour relooker ses magasins… Lidl !
Alors peut-être pensez-vous que les français sont devenus riches ? Pour information, le salaire médian en France en 2022 (chiffres publié au janvier 2024 par l’INSEE) est de 2 630 euros nets/mois en équivalent temps plein dans le secteur privé et 2 430 euros nets/mois en ETP dans le secteur public. Autrement dit la moitié de la population gagne plus que les salaires nets affichés dans les secteurs privé/public et la moitié gagne moins.
Des habitudes et des comportements inchangeables
Si les normes paraissent souvent absurdes et/ou exagérées aux premiers abords, elles ont toujours une origine tangible. Ainsi dans son analyse Le Figaro indique que «les normes ont été utiles à un moment de structuration de l’agriculture, car elles ont permis de fluidifier les échanges et de garantir un produit conforme». Puis comme pour tous les sujets, les normes ont donné naissance à des situations ubuesques dont il est difficile de se défaire aujourd’hui.
Enfin, il faut également reconnaître la responsabilité d’une partie des consommateurs, habitués à une homogénéisation au sein de la société : “ces consommateurs ont tendance à repousser ce qui est éloigné de leurs habitudes”. Euractiv rappelle également que “les consommateurs sont attachés à des formes, des couleurs, des allures bien précises : on ne fera jamais acheter un chou-fleur de plus d’un kilo dans le midi de la France, où l’on ne mange que des choux de 700 et 800 g maximum”. De plus, un fruit ou un légume moche est un produit qui semble défectueux, peu attrayant, alors que son “physique” n’a aucun lien avec son goût ou ses qualités nutritionnelles.
Les consommateurs qui apprécient cette originalité sont ceux qui cultivent eux-mêmes un bout de potager ou des bacs sur leur balcon. Ils se rendent bien compte que la nature leur donne parfois des fruits et légumes biscornus et goûtus. Ils sont plus à même de les accepter. Mais ces consommateurs se détournent généralement des circuits de la grande distribution et privilégient un approvisionnement en direct chez les producteurs ou ils sont inscrits dans une AMAP (une Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne).
Les débouchés des fruits et légumes moches
Heureusement de nombreuses initiatives existent à l’échelle territoriale pour éviter que ces fruits et légumes déclassés ne pourrissent dans les champs. Des filières se sont constituées pour trouver des débouchés à ces mal-aimés, parmi lesquelles on retrouve :
- la vente en direct chez les producteurs, dans les épiceries solidaires ou les AMAP,
- l’approvisionnement en direct des restaurateurs,
- la transformation en jus de fruits, compotes ou confitures par les exploitants, des coopératives ou des entreprises privées,
- la cosmétologie,
- l’alimentation pour les parcs animaliers,
- …
Pulpe de Vie
Les cosmétiques fabriqués à partir des fruits et légumes déclassésNée 2009, Pulpe de Vie est une marque de cosmétiques qui n’utilisent que des invendus alimentaires pour la composition de ses produits. Basée dans le Sud de la France, la marque a su développer des partenariats avec les agriculteurs locaux pour récupérer les fruits et légumes moches afin de les transformer en cosmétiques, certifiés bio !
Pour votre routine matinale, vous retrouvez ainsi une mousse nettoyante à la tomate, un sérum illuminateur à base de prune et de kiwi, une crème hydratante à la pêche blanche. Un concentré de vitamines et d’antioxydants pour prendre soin de sa peau.

Les 3 conseils pour booster son pouvoir d'achat pour consommer des fruits et légumes français
Le calendrier des fruits et légumes de saison
Le premier geste à adopter est d’avoir son calendrier pour connaître les fruits et légumes de saison, lesquels sont à des prix plus attractifs et sont plus susceptibles d’être locaux.
- Les fruits et légumes d’hiver, de janvier à mars : tous les choux (chou-fleur, chou vert, chou de Bruxelles…), brocoli, carotte, pomme de terre, céleri rave, cardon, endive, navet, courge, potiron, tppinambour, poireaux, panais, orange, clémentine, pommes, poires, kaki, kiwi…
- les fruits et légumes de printemps, d’avril à juin : épinard, haricot vert, courgette, artichaut, asperge, blette, endive, kiwi, pomme, rhubarbe, les premières fraises et tomates…
- les fruits et légumes d’été, de juillet à septembre : poivron, aubergine, concombre, tomate, abricot, cerise, figue, fraise, framboise, mûre, myrtille, nectarines, melon, pêche, poire, pomme…
- les fruits et légumes d’automne, d’octobre à décembre : brocoli, céleri, betterave, carotte, châtaigne, coing, pomme, raisin, poire, clémentine…
Les rayons dates courtes et paniers "anti-gaspi"
Le second geste pour faire des économies est d’aller aux rayons dates courtes et, selon les supermarchés, d’aller aux rayons où des paniers “anti-gaspi” sont faits à partir de fruits et légumes invendus.
La vente de fruits et légumes en direct des producteurs
Quelque soit votre lieu d’habitation, vous trouverez forcément des producteurs de fruits et légumes autour de vous ou a minima des AMAP (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne).
Le calendrier des fruits et légumes de saison, mois par mois
(Source : UFC Que Choisir)

Contenu rédigé par Élodie Lapierre
Depuis plus de 15 ans, après des études en toxicologie et santé environnementale, j'ai toujours à coeur d’informer et sensibiliser les individus, afin qu’ils soient des consommateurs avertis et aguerris.Le site Marques de France est géré en toute indépendance et n’appartient à aucune entreprise privée. Toutes les recherches effectuées et tous les contenus rédigés répondent à un unique objectif : promouvoir les marques qui contribuent à l'économie française et permettent de limiter notre impact environnemental.